Des images et une chanson qui valent ... mieux qu'un hélicoptère !
C'est quoi un col ?
C'est une fenêtre, une porte, une ouverture. Avant le col on ne voit rien. Et en arrivant au col, on a les yeux qui s'ouvrent, et pas seulement les yeux. On est aspirés.
Début avril. Une grosse chute de neige dans la nuit de mercredi à jeudi. Pendant la matinée du jeudi, quelques gros patins m'hypnotisent derrière la fenêtre du bureau. Pas de vent. Ni en plaine, ni en altitude. La nuit est annoncée claire et froide mais le redoux est prévu pour vendredi après midi. Ma collègue me donne feu vert, ou carte blanche, pour vendredi. Les planètes s'alignent.
Quantités annoncées: 40 cm mercredi + 10 cm jeudi. C'est beaucoup. La perturbation venait de l'ouest et a arrosé les massifs des pré-alpes plus copieusement que les massifs intérieurs. Vendredi, le soleil d'avril va chauffer vite et fort. Les ingrédients de l'équation: Pentes orientées globalement N-NE, pentes douces (autant que possible inférieures à 30°) et surtout pas exposées, massif intérieur (le plus à l'Est possible), et si possible un peu d'altitude. Réponse: la Suisse ! Départ de Trient à 1300 m. Objectif: le secteur Pointe de Bron, Pointe des Grands. Un seul passage délicat: la gorge sous Les Pétoudes, entre 1800 et 2100 m.
Départ matinal mais pas trop: 7h30. J'espérais qu'une équipe Valaisanne ou Vallorcine me ferait la trace (au moins en partie), mais que nenni, je suis le premier au parking. Premier, et seul ! Je pars pour environ 1700 m de D+, avec deux appareils photo: le petit compact facile et rapide à dégainer, et le réflex dans le sac, car je sais que du sommet, la vue sera splendide sur le bassin glaciaire du Tour et sur "l'Avenue des faces N-E": Vertes, Droites, Courtes. J'ai l'espoir d'arriver en haut dans la matinée, avant que la lumière ne soit trop dure. Espoir ténu, espoir vite perdu: même avec des skis "larges" de 92 mm au patin, qui offrent une bonne portance, je creuse une véritable tranchée de 30 cm de profondeur (en moyenne, parfois seulement 20, parfois 40). J'avance donc à la vitesse d'une limace au galop. On va me rattraper, c'est sûr. Le canyon des Pétoudes passe bien, les pentes Nord qui le dominent se sont déjà purgées pendant la chute de neige: les coulées sont recouvertes de 10-15 cm. Les cuisses chauffent et je me retourne régulièrement, pensant voir arriver la cavalerie, mais personne ne vient me relayer. J'avance donc, lentement mais sûrement, une conversion après l'autre ... jusqu'au col situé entre la Pointe des Grands et celle de Bron, altitude: 2927 m, arrivée à 13 h !! Calculs: 5h30 pour 1600 m D+ ... = à peine 300 m/h. Mais les trois premiers kilomètres sont "plats": seulement 300 m D+, et la neige était bien différente de la poudreuse légère de janvier ou février qui s'envole lorsqu'on souffle dessus ! Bref, ce devait être une sortie facile et rapide. Ce fut une bataille continuelle, une guerre d'usure, physique mais aussi tactique et psychologique car il a fallu doser l'effort en fonction de la pente, gérer la réserve d'eau, ne pas s'énerver, s'encourager, se motiver tout en conservant un brin de lucidité ... bref beaucoup de baratin pour dire que je suis arrivé décomposé, laminé, détruit, mais debout !
Bon, pour les photos, il faudra revenir pour chercher la lumière matinale, car à 13 heures, autant dire que les contrastes sont inexistants !
Quant à la cavalerie, elle est passée ... alors que j'avais entamé la descente: aux environs de 14h: deux personnes quittaient ma trace vers 2700 m, pour se diriger vers le petit col à 2898 m et sans doute atteindre la Pointe des Grands. Le premier portant le sac du second, collé à ses talons, dans une pente un peu plus raide.
Les non-initiés pourraient penser que la descente ... ça va tout seul, puisque par définition, ça descend ! Et bien pas tout à fait: la descente aussi fut physique, dans une neige très profonde et dense, il était impératif de ne pas appuyer trop fort et de bien conserver sa vitesse. Sur le chemin, sous 1800 m, c'était de la neige liquide, bien collante, avec quelques passages en faux plat montant. Seul passage absolument mémorable: le pente Nord à l'entrée de la gorge des Pétoudes: 7 ou 8 virages avec de la neige presque légère jusqu'en haut des cuisses, ça ne m'était encore jamais arrivé !!
A la sortie de la gorge: un groupe de 7 ou 8 "héli-skieurs" (c'est à dire montés en hélicoptère), là aussi, l'un d'eux s'était chargé d'un sac à dos "supplémentaire" (peut-être le guide ?).
Une fois n'est pas coutume, j'ai choisi d'illustrer les images et le texte avec un morceau de musique: Mister Bojangles, chanté par Nina Simone. Une chanson qui "porte vers le haut", qui délivre de la misère, de la fatigue, de la pesanteur.
Exactement la sensation ressentie là-haut sur ce col, après 5h30 d'efforts, face à ce paysage d'altitude.
Je copie ci-dessous le premier couplet:
I knew a man Bojangles and he danced for
you
In worn out shoes
With silver hair, a ragged shirt, and baggy pants
The old soft shoe
He jumped so high, jumped so high
Then he lightly touched down
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Nathalie Moineau (dimanche, 07 avril 2019 17:11)
Magnifique!