Le monde à l'envers: des hommes dans le ciel, un oiseau au sol !

Douze heures à Pormenaz, après un départ du parking à 5h45, ça commence par un affût à l'aube, sous un sapin dans la clairière de la zone humide du Gouet. J'entends une chouette (ou peut-être un hibou) un peu plus bas dans le vallon du Souay; et plus haut vers les Ayères, des sortes d'aboiements, à mi-chemin entre le chien et le chevreuil: peut-être Maître Renard qui appelle Dame Renarde ? Un peu d'agitation tout autour, mais dans ma clairière: rien. Aucun animal ne passe !

 

Un peu dépité, je repars. Au-dessus des Ayères, les raides pentes sud sont déneigées. Quelques chamois en profitent pour brouter au soleil. Ils m'ont repéré et je n'ai aucune chance de réussir à m'approcher suffisamment.

 

Un peu plus haut, je retrouve les bouquetins d'Entrevie: des mâles éparpillés à droite et à gauche, et deux femelles avec deux petits tout près de la falaise.

 

Au-dessus des laouchets, près du "canyon des lagopèdes", je trouve des traces de petites pattes à trois doigts, ponctuées de petites crottes. Je m'installe pour une petite pause thé et chocolat. Je scrute les zones de rocher aux jumelles, mais deux groupes de randonneurs en provenance de la gorge de la Diosaz (depuis le Brévent peut-être ?) passent tout près. Hormis les bipèdes à skis, rien ne bouge.

 

Je poursuis mon errance en direction de la face Est. Je voudrais bien traverser jusqu'à l'arête S-E, mais je paie cash les excès du week-end passé ! Je tombe sur une trace que je ne sais pas identifier, mais ... ce pourrait être le lynx, qui se dirige justement vers le vallon de la Diosaz. Peut-être rentrait-il chez lui après un petit festin ? Car un peu plus tard je trouverai quelques touffes de poils dans le secteur des laouchets.

 

Vers 2100 m, je me pose sur un replat de l'arête, pour finir mon thé. J'observe alors l'hélico du PGHM qui vient secourir des skieurs sans doute coincés sur le bas du couloir de la Mitraille (près de la Pointe d'Anterne). En effet le topo de skitour indique ceci: "Le couloir peut se faire "à vue" en venant de Flaine ou de Plaine Joux par le Dérochoir. Dans ce cas, faire attention, les passages pouvant être problématiques par mauvais enneigement se situent en bas du couloir. Bien tirer à droite en bas du couloir, il n'y a que là que ça passe."

Le 25 janvier 2013, pour Mickaël Souveton, ça passait "limite": "La barre de sortie est moyennement enneigée, ça passe par une sorte de chicane assez raide et un peu expo avec un virage pas facile à faire pour se mettre dans le bon sens (neige dure avec un peu de relief). ... Le couloir n'est pas très soutenu pour un 5.1 mais l'expo est un gros E3 à mon avis vu le côté un peu tortueux, les rochers bien présents et la ceinture de barre qui le ferme en bas."

Le 20 février (2 jours après le sauvetage), Phil74 est allé faire un tour au pied du couloir: "J'avais pas trop d'idée de sortie aujourd'hui, alors je me suis décidé à aller voir le couloir depuis le bas en partant de Plaine Joux.

En effet, ça ne passe pas, un rappel de 10m à effectuer pour passer le ressaut du bas.
J'ai cru apercevoir des traces de ski dans le couloir, puis des traces de pied juste au dessus du ressaut, peut être le sauvetage d'avant hier."

En conclusion, nous n'avons aucune information sur les véritables causes de ce sauvetage, au pied des grandes parois des Fiz. Les photos rappelleront des souvenirs à Seb !


Finalement, l'explication est arrivée le 22/02: c'est une double casse: un ski puis une sangle de crampons, qui a contraint l'un des skieurs à appeler les secours !

 

Cette petite pause m'a un peu requinqué. Je continue donc jusqu'à l'arête sommitale. Je pose le sac, sors les jumelles et m'assois sur ma veste. J'observe d'abord la pente sud de Pormenaz, le versant nord de Carlaveyron. J'observe le ciel, bleu, et vide. Il est 15h15. Je commence à me dire que ce sera une journée sans gypaète, la déception me gagne. Je me tourne vers les Fiz et scrute les pentes aux jumelles. Une minute, deux minutes passent. Soudain un bruit de cerf-volant, au-dessus de ma tête, comme le bord d'attaque d'une voile qui vibre dans l'air, une ombre qui passe devant mes pieds. Je lève les yeux. Il est là à 10-15 m et me regarde. L'appareil photo est dans le sac, à 3 mètres de moi. Quand donc cesserai-je ces erreurs de débutant ??? TOUJOURS GARDER L'APPAREIL A PORTEE DE MAIN !

Le temps de sauter sur le sac, de sortir l'appareil photo, le gypaète plonge dans le vallon des Argentières. Je ne peux que le photographier de dos.

 

Après cela, j'enlève les peaux et entame la descente, par le "canyon des lagopèdes". Tous les 10 ou 15 mètres je m'arrête et observe. Aux jumelles, je vois bouger quelque chose, une petite boule blanche, avec un trait noir sur les yeux et le bec. Il est à l'ombre, collé contre un rocher, les photos ne seront pas aussi belles qu'à l'automne. Je remets les peaux pour remonter une courte pente, et termine l'approche finale en rampant dans la neige. Quelques photos et je retourne chausser les skis pour faire le tour du rocher et de l'oiseau, pour changer d'angle. Pour tenter de "fabriquer" un peu de lumière, je surexpose assez fortement. Au bout d'un moment, ma boule de plumes se lève, regarde à droite, regarde à gauche, et s'en va, à pied ! Je retourne aux skis, rechausse et repasse derrière le rocher où je trouve dans la neige, les traces de pattes toutes fraîches laissées par mon lagopède qui a traversé toute la pente de neige (20 ou 30 mètres), pour atteindre une zone rocheuse un peu plus étendue, et surtout au soleil ! Il est 16h50. J'ai la frontale dans le sac, je pourrais faire une descente nocturne, mais serait-ce raisonnable ? Je dis donc au revoir à mon lagopède et plonge sur les laouchets puis dans la gorge des Argentières qui manque cruellement de neige. A 17h45 je suis aux chalets du Souay, le Mt Blanc commence à rosir. J'arrive au parking à 18h20, entre chien et loup.

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Commentaires: 1
  • #1

    Domino1944 (dimanche, 22 février 2015 20:51)

    Des photos toujours aussi chouettes !
    Faut engueuler le/la gypaète qui oublie de s'annoncer !
    Bravo pour avoir repérer le lagopède, ça doit pas être évident !
    Salut

Je ne suis pas un photographe professionnel. J'ai un métier que j'exerce à temps complet. Je suis simplement un "photographe randonneur" passionné de montagne et de nature, la photographie est un loisir que je pratique pendant mon temps libre, en pur amateur. Photographier des animaux sauvages exige de passer beaucoup de temps sur le terrain.

 

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