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Combat sur la neige

On dirait que les choses changent. Ou en tous cas certaines choses changent. Alors je m'adapte, je modifie mes méthodes, mes habitudes.

Aujourd'hui j'ai modifié un réglage sur l'appareil photo: la balance des blancs. Depuis des années, elle est réglée sur "automatique ET conserver les teintes chaudes". Et comme assez souvent mes séances photos ont lieu dans des conditions de lumières un peu particulières: au crépuscule, sous la pluie, sous les nuages, et bien à chaque fois, je passe un peu de temps sur l'ordi à corriger cette balance des blancs qui ne me convient pas vraiment: un peu plus de bleu, moins de rouge, ou bien l'inverse ? Et le vert ? Bref, un casse-tête. Donc j'ai simplifié: j'ai mis la BDB sur "Automatique" et c'est tout ! Résultat: rien ne change: les couleurs ne me conviennent toujours pas et les corrections sont toujours aussi complexes.

Jusqu'à présent j'allais toujours aux cerfs, le soir. C'est à dire que je partais dans l'après midi, pour faire les photos au crépuscule, le plus souvent en terrain découvert. Et je rentrais tard. Là aussi, changement de tactique: dorénavant je mets le réveil à 5h00, je monte à la frontale, j'arrive sur place peu après l'aube, et tout en restant bien sous le couvert forestier, j'approche les animaux qui sont déjà bien actifs. Il en découle que je n'utilise plus le trépied (pour l'instant) qui me cloue au sol et qui restreint ma liberté de mouvement. Les images sont donc peut-être un petit peu moins nettes, mais, prises à travers les branches, elles traduisent mieux la sensation de l'affût. Et je rentre en début d'après midi: collation, douche et sieste !

D'habitude la neige arrive en fin de brame, aux environs de fin octobre. Cette année, elle est arrivée fin septembre. Et elle reste ! En tous cas jusqu'à présent. D'habitude, début octobre, la forêt s'enflamme, l'or, le cuivre, la pourpre habillent les arbres, les arbustes, les myrtilliers. Cette année, tout est blanc, sauf le ciel, qui est gris !

Ce matin, au moment où j'éteins la frontale, j'entends des cris que je connais bien. Je lève la tête. L'aigle est là. Il tourne en rond juste au-dessus des épicéas, en limite d'une petite clairière et d'une mini falaise. La faible clarté de l'aube et le contre-jour empêchent de distinguer les tâches blanches sous ses ailes, mais j'en suis sûr: c'est un aiglon affamé. Ses parents ne sont peut-être pas très loin et il voudrait bien qu'on lui apporte à manger. Avec cette neige précoce, les marmottes doivent se tenir bien au chaud dans leurs terriers. L'air froid et les précipitations ne facilitent pas le vol plané des grands rapaces. La période est dure pour les aigles. J'en viens presque à souhaiter que les chasseurs (j'ai vu les phares de leur 4x4 sur la piste) réussissent à tirer un chamois et qu'ils abandonnent quelques bas morceaux sur le terrain. 

8h20: j'arrive en lisière de forêt. Dans la combe, deux mâles et quelques biches. Je les entends bramer depuis un moment déjà. Les cerfs hument l'air et reniflent la neige, quelques mètres derrière les biches qui broutent les feuilles sur les arbustes.

8h24: une troisième voix se mêle au concert. Quinze ou vingt mètres sous mes pieds, un cerf sort de la forêt. Sur les photos j'ai compté: 14 cors. Il va y avoir du grabuge ! Bien sûr je "romance" un peu car aucun scénario n'est jamais écrit et ce sont les animaux qui décident de faire le spectacle, ou pas. Mais sur le terrain, la tension est là, tout est possible, je retiens mon souffle. "Mon" cerf monte doucement, en louvoyant, il commence par me tourner le dos, puis il passe face à la pente, tourne encore un peu, et finit par se présenter de trois quart face. Il s'arrête, lève la tête, les bois à l'horizontale, et lance son brame. Il est deux mètres trop bas et la lumière est nullissime (il n'y en a pas !!) mais la photo sera tout de même acceptable.

Il reprend sa marche, décrit un nouveau virage, me tourne le dos à nouveau. Mais il stoppe et lance un regard en arrière. Il est pile dans le trou au travers des branches, juste à ma hauteur, c'est parfait. On dirait qu'il me dit "Tiens toi prêt !". Il est 8h28'01. Une biche est sortie de la forêt (au-dessus de moi) et traverse la combe. 8h28'56: elle passe entre les deux cerfs, qui sont distants d'une petite dizaine de mètres. "Mon" 14 cors a face à lui un dix cors, me semble-t-il. La biche file vers le bas, tandis que les deux cerfs remontent quelques mètres, côte à côte, un peu à la manière de Poulidor et Anquetil dans l'ascension du Puy de Dôme en 1964. Celui qui parviendra à prendre ne serait-ce qu'un mètre d'avance, aura l'avantage: il sera plus haut dans la pente et pourra peser de tout son poids sur son adversaire. 8h29'04: les bois s'entrechoquent, la bataille a commencé, sous les yeux d'une biche, spectatrice de la bagarre. 8h29'27: le troisième cerf passe en courant juste au-dessus des deux combattants. Mon attention était bien focalisée sur la joute, et ce qui se passait autour m'a totalement échappé. Cependant, je pense que ce troisième cerf a tenté de profiter de la situation et s'est glissé "incognito" sur les traces de la biche esseulée ! Une minute après le début de cette bataille, une biche passe 3 ou 4 mètres devant moi, "au sprint" dans le sens de la descente, poursuivie par un cerf. La biche me remarque à peine, le cerf pas du tout ! La biche, je ne l'avais pas vue venir, mais pour le cerf, j'ai eu le temps de déclencher, au juger, sans viser, sans mise au point, sans rien. Sur la photo (seulement conservée dans mes archives, en guise de souvenir), on voit une paire de bois et une paire d'oreilles, floues (les branches de l'arrière plan sont nettes !). Une petite poignée de secondes après, les revoilà, dans l'autre sens. Cette fois, ne souhaitant pas me faire piétiner, je signale ma présence. La biche, effrayée, fait vivement demi-tour et saute littéralement sur le cerf qui n'a pas du comprendre grand chose !! Neuf secondes après leur premier passage, le faon de la biche, qui suit sa mère partout (c'est son premier automne je pense), marque l'arrêt devant moi, tout étonné lui aussi. Lorsque le calme revient, le combat au centre de la combe, est terminé. Je n'ai pas vu la fin !

Après ce moment bien agité, les animaux se sont un peu dispersés. Il y aura encore un passage d'un cerf sur la ligne de crête. Puis une biche et son faon vont traverser la combe au-dessus de la forêt, au milieu des tourbillons de neige emportés par les bourrasques de vent. Hélas je suis positionné contre le vent (essentiel pour observer des mammifères) et il m'est pratiquement impossible de prendre des photos pendant les rafales.

En effet ce matin, le foehn souffle sur le vallon. Et comme souvent en pareille situation, les Aravis sont à la fois plombés par des gros nuages lourds et un ciel d'encre, tout en étant frappés d'une "lumière divine", ce qui crée de beaux contrastes.

A 9h54, le jeune aigle vient clore cette belle matinée !!

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Commentaires: 3
  • #1

    Mika (mercredi, 07 octobre 2020 23:42)

    Trop belle tes photos

  • #2

    patoche (vendredi, 09 octobre 2020 09:38)

    superbe référence de cyclisme sur l'un des plus beaux sommets français !
    toujours bravo pour ces récits et ces images,tu peux être satisfait,,on adore ( c'est quoi l'altitude ou tu es pour qu'il y est toute cette neige froide )

  • #3

    Psyko (vendredi, 09 octobre 2020 17:02)

    Hello mon Bougnat. 1800 m en versant sud. C'est déjà fondu, mais pas en versant nord. On dirait que la deuxième couche arrive pour demain ou dimanche, dès 1200 m.

Je ne suis pas un photographe professionnel. J'ai un métier que j'exerce à temps complet. Je suis simplement un "photographe randonneur" passionné de montagne et de nature, la photographie est un loisir que je pratique pendant mon temps libre, en pur amateur. Photographier des animaux sauvages exige de passer beaucoup de temps sur le terrain.

 

Néanmoins je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et à vos demandes aussi rapidement que je le pourrai. N'hésitez pas à me contacter:

 

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