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Trail de Verbier Saint Bernard: X-Traversée 2022

Situé pas trop loin de chez moi (1h45 en voiture), c'est un trail bien montagneux, alpin, avec un peu d'altitude (quelques passages à + de 2500 m), donc tout ce que j'aime. Pas besoin de prier le dieu du tirage au sort pour obtenir un dossard (exit les courses chamoniardes). Bref, un trail de premier choix ! 5300 m D+ sur 76 km.

Ma prépa: un peu "minimaliste" cette année, non par choix: j'aurais voulu, j'aurais aimé en faire un peu plus, mais ce premier semestre 2022 a été bien chargé sur le plan professionnel. Du ski de randonnée le week-end, mais très peu en semaine (une fois par mois). Après la saison hivernale: des sorties courtes, le soir après le boulot, ou bien tôt le matin avant le boulot, le quotidien de beaucoup de camarades traileurs, mais assez peu de sorties vraiment longues: une seule sortie de plus de huit heures le 6 juin: tour de Pormenaz de Chamonix à Chamonix: 2350 m D+ et 34 km.
Cependant, j'arrive au jour J avec pas mal de fraîcheur et un assez bon niveau de confiance.

ET, j'ai un atout maître dans ma poche: Véronique, qui va assurer mes ravitaillements personnalisés, à Bourg Saint Pierre (km 27), peut-être à la cabane Brunet si elle réussit à prendre la navette (km 46.5) et surtout à Lourtier (km 65). Lourtier est LE point stratégique de l'itinéraire: c'est au pied du mur qu'on voit le traileur !

Lourtier est situé au point le plus bas de tout le parcours: 1076 m. Le point de ravitaillement suivant se trouve à La Chaux, seulement 6 km plus loin, mais 1185 m plus haut ! J'ai lu beaucoup de compte-rendu de courses, et sur des trails longs, il arrive toujours un moment où le coureur n'en peut plus, il a le moral dans le fond des chaussettes, il se fait tard, et il ne voit plus très nettement l'intérêt de continuer. C'est là que le rôle du "suiveur-assistant-ravitailleur" est important: il (ou elle) doit remotiver son coureur et le faire repartir (sauf en cas de blessure grave évidemment). J'ai briefé Véronique: elle a ordre de me renvoyer sur le chemin, de m'empêcher de rendre mon dossard.

Ce "mur final" a aussi le mérite de simplifier et clarifier considérablement la réflexion concernant la tactique à adopter pour la gestion de l'allure: il est absolument impératif de s'économiser au maximum et de garder des forces pour la fin de parcours, dans les descentes il sera vital de ne pas trop endommager les quadriceps.

Le jour J, au petit matin: nous laissons la voiture sur le grand parking d'Orsières, un bus nous monte à La Fouly. Petite "mise en route" rapide (je n'ose pas dire "échauffement") et je me positionne dans le peloton pendant que Ludo Collet récite son baratin dans le micro. Cette année l'évènement TVSB est passé sous licence "by UTMB", Catherine et Michel Poletti sont présents au départ (Michel avec le dossard 1707). Le discours de Ludo est même traduit en langue anglaise, ça s'éternise carrément ! Bon, ils finissent par nous laisser partir, avec 10 minutes de retard (les Suisses ont du apprécier la ponctualité !!).

Le trail: "le sport de plus stylé de l'univers" (dixit les genoux dans le gif)
Lunettes noires et casquette verte !

Le mot de l'assistante:

L'organisation avait indiqué que les assistants des coureurs seraient redescendus en bus. Lorsque j'arrive à l'arrêt de bus, il y a beaucoup de monde. Les minutes passent... le quart d'heure... la demi-heure... Moi je ne m'inquiète pas outre mesure : le bus est prévu, il suffit de patienter !

Mais un peu plus loin, à l'arrêt de bus de la ligne habituelle, cela circule.

 

Après une certaine attente, on voit le chauffeur de bus nous faire signe : il nous indique de monter dans son bus de ligne et précise qu'il ne fait pas payer. Il téléphone et on l'entend dire « ok, j'ai récupéré tout le monde. » 


Les quatre premiers kilomètres sont très roulants: goudron (3km) puis piste carrossable, D+ 220 m. Ils sont avalés en 30 minutes. Fréquence cardiaque max: 159, 155 pendant 15 minutes: c'est un peu trop, il faudrait que je lève le pied. On quitte la piste pour suivre enfin un sentier qui monte vraiment. Ça bouchonne un peu parfois, j'en profite pour manger et boire. Je passe les lacs, j'arrive au col de la Fenêtre de Ferret en 1h42: je n'ai pas vu le temps passer, j'ai l'impression d'être parti depuis 10 minutes. Descente courte mais un peu technique (je suis un boulet en descente): 15 minutes. On traverse la route et on grimpe au col du Grand Saint Bernard. La tente du ravitaillement est absolument bondée, j'y passe 2 minutes, il me semble me souvenir avoir pris un quartier d'orange. 2h15 de course, 12.5 km, niveau de fatigue: 0 (ou presque), jusque là, je suis dans la facilité absolue.

C'est là qu'on aborde la nouveauté du parcours 2022: la montée au col des Chevaux. Le sentier devient rocheux à 100 %, je ne peux plus vraiment utiliser les bâtons et l'effort devient un peu plus intense, physiquement je m'emploie un peu pour maintenir un rythme correct. Au col, le paysage vaut le détour. 2h45 de course, 14,5 km. Descente en lacets dans une belle pente bien minérale, mais heureusement plutôt facile, très peu de grosses marches, j'arrive à préserver les quadriceps. Ça dure 18 minutes, pour descendre 300 D-. Un virage à droite marque la fin de la pente rocailleuse, et l'entrée dans une belle combe large et toute en herbe, en faux plat descendant d'abord puis à nouveau un peu plus pentue, jusqu'au replat puis la petite remontée le long du lac artificiel des Toules. Km 21, 3h45 de course: premier coup de fatigue. Pas de panique: je mange, je bois, je re-mange ... avant de plonger sur Bourg Saint Pierre par une grande piste carrossable facile mais pentue quand même !


Le mot de l'assistante:

Après « l'aventure » du bus, je prends la Clio et je roule en direction de Bourg St Pierre. Enfin « je roule »... il y a un véritable embouteillage dû au feu qui impose une circulation alternée à cause des travaux. Cela me laisse le temps de relire les explications de Cyril pour la suite. Je commence à stresser sérieusement (mais il va arriver à Bourg St Pierre avant moi si ça continue!) quand ouf, je passe le feu en question ; ça roule bien maintenant.

Arrivée à Bourg St Pierre, je commence par remplir les flasques, en suivant à la lettre les instructions de Cyril : deux cuillères de poudre énergétique à mettre dans l'eau si je me souviens bien. Je prends mon rôle très au sérieux, il faut que monsieur ait ce dont il a besoin. Puis je quitte le parking improvisé et je m'approche du lieu du ravitaillement ; une bénévole précise : « interdiction de dépasser tel point pour les assistants des coureurs » et elle dit aussi que, pour les coureurs qui ne voudraient pas aller jusqu'à la salle avec le ravito de l'organisation, il faut impérativement rester 15 secondes derrière « le truc qui bipe » avant de repartir.

Le soleil tape, je cherche un coin à l'ombre qui soit tout près de l'endroit où passent les trailers. J'installe le matos, et je propose à un monsieur plus âgé d'utiliser ma chaise pliante.

Il y a là un gars d'une trentaine d'années qui est l'image d'Épinal du Suisse : le chapeau avec la plume, le pantalon de montagne, la pipe, et un fort accent. Pour un peu je lui demandais l'autorisation de le prendre en photo !

 

Je vois passer les premiers de la course X-Alpine (140 km) ; Sange Sherpa arrive deuxième et repart premier ; il est comme d'habitude souriant.


Arrivée au ravitaillement de Bourg Saint Pierre: je termine mes deux flasques "de poitrine". OUF : Véronique est bien là, elle a installé un véritable pique-nique avec chaise pliable. La chaise, c'est un piège: il ne faut pas s'asseoir ! Ça fait grand bien au moral de voir Véronique, elle sourit, ne semble pas trop inquiète et visiblement elle est "au taquet", ce qui me donne un bon coup de boost. J'échange mes flasques vides contre deux pleines, je dépose mes emballages vides et reprends quelques bricoles à grignoter avant de faire un petit tour sur le ravitaillement de l'organisation où je prends un quartier de citron.

Km 26.3, arrivé en 4h33, je repars à 4h43. Dix minutes sur un "gros" ravito, c'est pas mal, je ne dois pas m'attarder d'avantage. Par rapport à mes prévisions, j'ai 7 minutes d'avance. Mais sur les 600 m de faux plat goudronné à la sortie du village, je sens bien que les jambes sont déjà un peu lourdes. Ce n'est pas trop bon signe pour les 50 bornes qui me séparent encore de l'arrivée. Mais n'y pensons pas, concentrons-nous sur le moment présent.

Et le présent c'est: une halte obligatoire sur le bord du chemin pour remettre dans le bon sens les embouts de mes flasques, que Véronique avait réussi à mettre à l'envers (voir photo ci-dessous)!

Le "Ravito-pique-nique", nouveau concept inventé par Véronique
Le "Ravito-pique-nique", nouveau concept inventé par Véronique

Après ce moment de réconfort, c'est reparti pour une ascension interminable, jusqu'au ravitaillement du col de Mille, situé 11,5 km plus loin, et 900 m plus haut. Au départ de Bourg Saint Pierre à 1600 m, je souffre de la chaleur, et à l'arrivée, à 2500 m, je trouve qu'il fait bien frais, surtout en plein vent. Je mets 2h35 pour monter là haut, soit 30 minutes de plus que prévu. Un certain inconfort commence à se faire sentir, ainsi qu'une légère lassitude. En un mot: je fatigue ! Mais je profite du panorama: je ne connais pas le Valais et je n'ai jamais eu l'occasion de voir le massif du Mt Blanc sous cet angle, mais je reconnais bien les Grandes Jorasses et le Dolent. J'aperçois même le Mt Blanc pendant quelques instants. Je ne traine pas au ravitaillement de Mille (8 minutes), je picore seulement deux abricots secs et je repars.

Seulement 8 km de descente (400 m D-) séparent le ravito de Mille de celui de Brunet. Dites-le avec moi: "F-A-C-I-L-E" ! Je pensais pouvoir avancer assez vite sans trop me fatiguer (peut-être même reprendre quelques forces), et boucler cette petite étape (sur le papier) en 1h05.

Mais on ne se méfie jamais assez: sur le terrain c'est l'étape la plus casse-pattes de tout le parcours: c'est une succession de bosses, de raidars, avec des rochers et des racines partout, on s'épuise et ça n'avance pas, même en descente. Miracle: pour les 200 derniers mètres le champ de mines laisse place à une piste carrossable parfaitement lisse et ultra large, un vrai tapis rouge présidentiel !, mais en léger faux plat montant. Génial, je vais pouvoir trottiner à nouveau un petit peu et rattraper les collègues qui marchent 30 mètres devant moi, et cette simple perspective me redonne un peu de baume au cœur. Je lance donc le moteur. Mais rien ne se passe. Le cardio est bloqué à 120 pulsations et les jambes refusent de courir. "Bon ben je vais faire comme les autres, je vais marcher".
Au total je mets 1h33 pour rallier la cabane Brunet: encore 30 minutes dans les gencives. 

Au ravito, une bénévole me propose immédiatement un coca: probable que je sois un peu pâlichon. Je cherche Véronique mais ne la trouve pas. Tant pis, c'était plus ou moins prévu, je savais que ce serait compliqué pour elle de monter ici. Je fais un rapide point de la situation: je suis au km 46. Il en reste 30. Et je suis lessivé. Trente bornes, trois ascensions: col des Avouillons (court mais musclé), cabane de Panossière, une longue descente de 11 km pour 1500 D- qui va sans doute achever mes cuisses de poulet, et puis le Mur entre Lourtier et La Chaux. À cet instant une pointe de découragement tente une incursion dans mon cerveau. En fait d'incursion c'est même plutôt une percée, un contournement et une blitz-krieg façon "panzer-division". Ma détermination, ma motivation, mon envie et ma combativité sont en ce moment sur une plage de Dunkerque, sous les bombes des Stukas, attendant de pouvoir embarquer sur un rafiot pour le pays de la gelée flageolante et de la sauce à la menthe. Ce n'est plus un trail de montagne, c'est "Week-end à Zuydcoote". C'est vous dire si la situation est désespérée.

À cet instant, si un bénévole me proposait "Je vous retire votre dossard monsieur ??" je dirais dis oui sans hésiter une seule seconde. Seulement voilà, j'ai beau chercher, je ne vois pas comment rejoindre la vallée, la civilisation et Véronique autrement qu'à pied, même après un hypothétique abandon. Il doit bien y avoir des navettes motorisées, mais où et quand ? Serais-je autorisé à l'emprunter, gratuitement ? Dans le règlement, il était conseillé de prendre avec soi quelques euros ou mieux: des francs suisses ! Conseil que je me suis évidemment empressé de ne pas suivre !

Par acquis de conscience, j'étudie rapidement le tableau qui montre le profil de l'itinéraire: les deux ascensions suivantes n'ont pas l'air bien grosses. Allez, on va repartir ! Je remplis mes deux flasques avec de l'eau, j'attrape deux abricots secs, et zou !

Je suis resté 12 minutes sur ce ravitaillement: 2 minutes de trop !


Le mot de l'assistante:

Après le départ de Cyril, je joue encore un peu de darbouka pour encourager les suivants.

Puis je reprends la voiture, direction Lourtier où il est prévu que je laisse la voiture pour prendre un bus afin de me rendre au ravitaillement de Brunet.

Sauf que c'était sans compter sur le fait qu'on est très nombreux à vouloir faire cela. Les bénévoles m'arrêtent avant Lourtier, m'indiquent qu'il reste une place pour se garer, et qu'il faut prendre une navette pour Lourtier. OK pas de soucis. Mais à Lourtier, le policier m'annonce qu'il n'y a plus de navette... euh, je ne comprends pas, il est encore tôt et les derniers sont encore très loin,.. je suis très déçue. Je vais alors dans le village, taper sur ma darbouka pour les coureurs du marathon. Quand enfin je retourne voir le policier, il m'annonce que j'aurais pu prendre une navette si j'avais attendu 30 minutes quand je suis arrivée. Ne pas s'énerver, demander poliment pourquoi... en fait, il fallait aller un peu plus loin en voiture pour prendre la navette. Et pendant un moment, il n'y avait plus aucune place pour se garer. Donc ils ont décidé d'arrêter tout le monde à Lourtier. Sauf que rien n'avait été expliqué, ni en amont ni au moment où je suis arrivée (le bus absent au départ, et cette histoire maintenant, je commence à trouver que la réputation de bonne organisation des suisses est erronée). Ni une ni deux, je prends le bus qui me ramène un peu plus bas, là où j'ai laissé la Clio. Je prends la voiture, je file au parking plus haut. Super, une navette est là et s'apprête justement à rejoindre Brunet. Je monte dans la navette, elle démarre, et là je reçois un sms de mon père « Cyril vient de passer Brunet »... « euh, excusez-moi, je descends ». Finalement, ma voiture rejoint le champ qui sert de parking.

 

Là, le moral en prend un coup : je n'ai pas vu Cyril, je n'ai donc pas pu lui donner ses gels/barres/compotes/boissons énergétiques. Mon sac à dos est franchement lourd et je réalise que je vais attendre mon chéri trèèèès longtemps à Lourtier. Je me dis que ce serait bien de me reposer mais impossible. Je tricotine bien un peu, mais sans enthousiasme. Le mieux est encore de jouer de la darbouka, ça fait toujours plaisir aux coureurs des différentes courses ! Il y a des coureurs qui disent « merci » ou « super », il y a ceux qui n'ont pas le courage de décrocher un mot (comme je les comprends) mais qui font un signe de la main ou un sourire.


La montée au col des Avouillons est vraiment rude, surtout psychologiquement parce que j'ai l'impression d'être scotché, de ne pas avancer. Dans les faits, sur les 300 derniers D+ du col (la partie qui monte vraiment), j'arrive à maintenir un 550 m/h, c'est vraiment la vitesse de base avant le "touché - coulé". Au col, je fais comme tout le monde: je m'octroie 10 minutes vautré dans l'herbe, le temps d'avaler une Clif Bar au chocolat.

De l'autre côté du col, la pente est raide, mais le sentier est remarquablement bien tracé et entretenu: pas trop pentu, aucun caillou, les virages en épingle s'enchaînent hop hop hop. Passage de la passerelle de 190 m pour traverser le lit du glacier de Corbassière. À l'inverse des capteurs d'appareils photos, stabilisés sur 5 axes, la passerelle est totalement instable: elle bouge latéralement, ET verticalement.

J'échappe au mal de mer et attaque la montée de la moraine qui conduit à la Cabane de Panossière. Panorama sur le Grand Combin à couper le souffle, mais j'ai déjà le souffle bien court !! Je reste 10 minutes et me lance dans la descente, avec 1h50 de retard sur mon "horaire prévisionnel".

J'appréhendais fortement cette longue descente (11 km, 1500 D-), mais elle s'est révélée bien agréable: la partie morainique facile, vraiment sans gros obstacle ou difficulté qui peuvent parfois venir casser le rythme. Puis un sentier en faux plat le long d'un bisse, vraiment plaisant et qui permet de maintenir une allure bien régulière. Ensuite, le sentier plonge dans la forêt, ça devient plus raide et plus exigeant physiquement, mais surprise, les quadriceps tiennent bien le coup et je parviens à maintenir une vitesse de croisière décente, si bien que je limite mon retard sur cette section à 20 minutes seulement malgré 3 imprévus:

- un arrêt vidange de vessie,

- un Carré'go (excellent biscuit amande - citron d'Alain Roche) épris de liberté qui me rejoue La Grande Évasion et saute de ma poche,

- la dernière descente en forêt en mode Stevie Wonder, Gilbert Montagné, et Ray Charles, parce qu'il est déjà 21h30 et je ne dispose QUE de mes lunettes de soleil (mes lunettes de vue "normales" sont dans le sac de Véronique).

Enfin Lourtier !

Tous les coureurs devant moi se laissent porter par l'élan de la descente et profitent du goudron pour courir. Pas moi. Je marche. Je n'y suis plus du tout. Juste avant le village, un pré sert de parking, je repère la Clio de Véronique. Je suis à DEUX doigts de m'allonger dans l'herbe devant la voiture. Mais j'avance tout de même jusqu'au ravitaillement. Dans la rue Véronique me crie "Ton ravito est sur la 2ème table !".  Mais dans ce genre de situation il est important d'ordonner sa pensée et ses actions, de bien arbitrer les priorités pour faire les choses dans le bon ordre:

- d'abord, changer de lunettes, sans ça je suis dans le noir et je ne peux rien faire (logique basique fondamentale),

- ensuite, mettre une veste parce que la fraîcheur tombe et il est possible que je m'attable un petit moment

- enfin, le plus difficile pour la fin: négocier mon abandon, et mon rapatriement par "SOS Véronique assistance". 

Bon, ne souffrant d'aucune blessure grave, handicapante, ni même d'une bête ampoule (bête mais toujours méchante l'ampoule !), ma proposition d'abandon a été rejetée par Véronique, poliment et gentiment, mais non sans une certaine fermeté dans le ton de la voix. Elle m'a dit texto: "Tu manges, tu bois, et tu repars ! Mais tu mets ta frontale d'abord !". Du moins c'est ce que j'ai compris.
Véronique, en excellente co-équipière, a étalé sur une table toutes mes barres énergétiques, mes gels, mes compotes ... que des trucs sucrés. Or, à cet instant, voilà 14 heures que je n'avale QUE des aliments sucrés (solides ET liquides), et là, je n'en peux plus, je suis complètement dégoûté du glucose, même à IG bas ! Je vais donc fureter sur les tables du ravitaillement de l'organisation, et je tombe sur ... du bouillon de soupe. La dame m'en a rempli deux bols + deux autres bols de risotto avec du jambon. Cette dame m'a sauvé. Sans elle je serais encore à Lourtier ! Le bouillon et le risotto m'ont bien retapé. Après 36 minutes d'arrêt au stand, je repars, prêt à aller chercher la médaille avec les dents !


Le mot de l'assistante:

Quand Cyril arrive, je suis au taquet : j'ai tout installé sur une des tables réservées à l'assistance. Un trailer m'a dit « ça c'est du ravito ! » puis je suis descendue quelques mètres plus bas pour voir arriver les coureurs et jouer de la darbouka. Le moral est revenu même si je me pose des questions : Cyril est très en retard par rapport à ses prévisions ; s'est-il fait mal ou est-ce un simple retard ?

Quand il me dit « et si j'abandonne maintenant, tu n'es pas d'accord ? » je lui réponds sans réfléchir « pourquoi, tu es blessé ? ». Non, il n'est pas blessé, alors je me ferme « ben, avoir fait tout ça pour abandonner si on n'est ni blessé ni exténué, c'est nul. ». Quand il repart, Cyril fait rire les personnes à côté de nous ; il dit : « je ne sais pas combien de temps je vais mettre, parce que je vais continuer en mode rando ; mais je vais te la chercher avec les dents, cette médaille de finisher ! »


J'attaque donc le mur de La Chaux en me disant "C'est lui ou moi !"

Vous vous dîtes "Tout de même, ce n'est qu'un chemin ! Doucement garçon, tu t'emballes".

Alors, oui certes, ce n'est qu'un chemin, mais tout de même: Après 20 ans de pratique de la montagne, je n'ai pas souvenir d'avoir jamais parcouru un chemin aussi pentu sur une aussi longue distance. Bien sûr, j'ai grimpé des pentes raide comme ce "mur", mais uniquement en "hors sentier" et seulement sur 300 ou 400 D+. Ce soir là, j'ai vu des coureurs assis sur le bord du chemin, le regard perdu dans le vide. Aussi imprécises et imparfaites que soient les données des montres GPS et l'interprétation qu'en donnent les applications informatiques, Strava donne tout de même des chiffres que je n'ai jamais vus après aucune de mes séances d'entrainements, même à Chamonix sur le KV de Plan Praz (qui est un "vrai faux" KV) ou sur la montée au Plan de l'Aiguille: des passages à 40 % et même 49 % !

Pour moi, ça a duré deux heures. Dix ou vingt fois peut-être j'ai levé les yeux en espérant voir la pente se coucher enfin, et à chaque fois les frontales des collègues devant moi dessinaient une pente toujours aussi coriace. Mais je n'ai pas perdu courage, je ne me suis pas arrêté, toute pente mène à un sommet et finit toujours par redescendre !

J'avais prévu 2 heures pour cette étape Lourtier - La Chaux. J'ai mis 2h26. J'ai plutôt pas mal limité la casse. Une vitesse ascensionnelle de 560 m/h, sur la totalité de l'ascension, incluant environ 500 m de faux plat, ça reste pas si mal pour une fin de parcours aussi dure.

Au ravitaillement de La Chaux, je prends un thé brulant et sucré, et surtout je pose à la dame qui me sert, LA question à laquelle elle a du répondre plus d'une centaine de fois: "Il reste combien ???" Elle me répond gentiment avec le sourire: 6 kilomètres et demi. Et là dans ma tête, c'est déjà une première délivrance: 6,5 km de descente pour rejoindre l'arrivée: environ une heure. Autant dire rien. Surtout, rester bien concentré pour éviter de plier une cheville, et ce sera dans la poche !

Image empruntée à Matthieu Forichon, le dessinateur de "Des bosses et des bulles" qui croque le monde du trail depuis des années, et accessoirement, auteur de l'affiche de l'UTMB.

Au ravitaillement de La Chaux, je ne reste que 3 petites minutes.

Le début de la descente se trottine sur une large piste carrossable, assez plate. Puis rapidement, le balisage invite à suivre un sentier qui plonge droit dans la pente. Un sentier qui ressemble furieusement au mur qu'il a fallu escalader peu de temps auparavant. Strava indique des pourcentages tout à fait similaires: -30, -46, -49 %

Miraculeusement, les quadriceps tiennent bien le choc et sur les dernières portions de faux plat montant, je parviens même à relancer l'allure, et je boucle le dernier kilomètre en 6 minutes environ, complètement boosté par le sentiment d'euphorie qui me soulève littéralement du sol: je franchis la ligne en mode "Aladdin sur son tapis volant".

Bon, 6 minutes au km, c'est nul. Quand je courais des 10 km sur route, il y a 30 ans, sur les 6 premières minutes de course, je faisais DEUX kilomètres ... et ensuite l'allure diminuait. Mais après 75 bornes et 5000 D+ dans les pattes, c'est tout simplement exaltant.

Seule grosse déception: pour Véronique (et pour moi-même). En effet, l'application de suivi des coureurs "en live" annonçait mon arrivée à 4h du matin (soit DEUX HEURES APRÈS mon arrivée réelle), du coup lorsque je passe la ligne, Véronique est en train de somnoler en salle de repos. Grosses larmes de ma chérie, et je la comprends, ça gâche un peu la soirée.


Le mot de l'assistante:

Après le départ de Cyril, je range les affaires et j'admire une autre assistante de coureur qui a tout simplement aménagé une valise dans laquelle elle a placé les produits pour son/sa coureur. Il ne me reste plus qu'à rejoindre Verbier, mais je m'inquiète: je n'aime pas conduire la nuit, je ne connais pas la route, et il y a des travaux sur la chaussée. Je ne sais plus si j'ai pris ce chemin de terre parce qu'il était indiqué sur un panneau ou parce qu'une personne m'a dit de passer par là, mais je sais par contre qu'au bout d'un certain temps, j'ai décidé de profiter d'un croisement en Y pour faire demi-tour. J'ai dû manœuvrer au moins dix minutes pour faire demi-tour...Je me suis décidée à reprendre la route principale pour descendre jusqu'en bas avant de remonter de l'autre côté. Ah la route de Verbier et ses virages...entre la fatigue de la fin d'année scolaire, la longue journée, le souci que je me faisais pour Cyril, le stress de la route... je suis nauséeuse et pas en forme. Je me rends sur l'aire d'arrivée et je demande à des jeunes qui tiennent un stand de bien vouloir consulter l'appli qui indique les prévisions d'arrivée des coureurs. Ils me répondent que l'arrivée du dossard 1250 est prévu à 4H30 du matin. Il est minuit et demi, je dois avoir une drôle de tête, parce qu'ils me proposent d'aller m'allonger dans la salle de repos installée pour les traileurs. Je m'y rends donc, en me disant que je rejoindrai la ligne d'arrivée vers 3H30. Impossible de dormir, mais je finis par me détendre un peu. A 2H40, mon téléphone bipe : Cyril me demande où je suis, il a passé la ligne à 2H10... Je quitte la salle et je me rends dans la station le plus vite possible. Moi qui me faisais une joie de le voir passer la ligne, qui m'imaginais jouer de la darbouka pour lui...je suis dégoûtée, je m'en veux d'être allée dans la salle de repos. La déception est grande et c'est une crise de nerf. Vraiment dommage que ce trail finisse ainsi.

La suite du programme : douche du trailer, puis séance kiné qui dure... Je n'ai alors toujours pas sommeil, mais je sais que dans un moment, je vais dormir debout. Il faut dire que la veille, on était parti de Chamonix vers 5H15. Quand on quitte Verbier, il est déjà 5H du matin. Moi qui n'avais jamais passé de nuit blanche, même à l'âge de vingt ans, me voilà servie !

 

Le bilan de ce trail :

 

  • Je n'osais pas proposer à Cyril autre chose que ce qu'il avait prévu. La prochaine fois, je prépare un plat salé.

  • Retenons que Cyril est venu à bout de ce trail de 77 km ! (il est trop fort, mon chéri!).


Conclusions:

- Je suis encore parti trop vite, même si j'ai tout de même ralenti par rapport à mon "départ express" au trail de Serre Chevalier de 2020. Difficile de ne pas trottiner sur le goudron et sur cette piste carrossable très roulante. Du coup, pendant 30 minutes le cardio est resté bloqué entre 140 et 150 pulsations, et c'est trop.

- Je pense que je n'ai pas mangé suffisamment, et j'aurais dû boire d'avantage aussi.

- La portion entre Bourg Saint Pierre et Brunet m'a détruit, un peu physiquement, mais surtout moralement. Sur 123 abandons, 43 ont eu lieu à Brunet (soit 35 %, c'est là qu'il y en a eu le plus). Si l'on ajoute 9 autres abandons au ravito de Mille, on arrive à un total de 52 abandons (soit 42 %) sur cette section de 19 km entre BSP et la Cabane Brunet.
Il y a eu ensuite 21 abandons à Panossières, et seulement 17 à Lourtier, soit 38 seulement sur le dernier tiers de la course. Les stats de la course sont ici.

- Sans Véronique, il est évident que je ne terminais pas la course.

- Durant la préparation, il m'a aussi manqué un (voir deux) enchaînement(s) de deux ou trois grosses séances à plus de 25 / 30 km.

- Une petite euphorie à l'arrivée et les jours suivants, mais pas autant que lors de mon premier trail en 2019 au Petit St Bernard.

Celle-là, je ne l'ai pas volée !
Celle-là, je ne l'ai pas volée !

Ci-dessous: une petite vidéo promotionnelle des temps forts de l'évènement "TVSB", toutes courses mélangées. On m'aperçoit furtivement , à 3'41 (casquette verte, parce que moi aussi, j'ai une casquette verte !).

Voici une autre vidéo, filmée "de l'intérieur" par un concurrent, qui donne une bonne idée des paysages traversés.

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